Meet the killer with JANE & RAYMOND

Cela faisait maintenant deux mois que j’avais déplacé le cadavre de la bonne femme Watters à la fête du Cardiff Asylum.. enfin, Vintage Hôtel, peu importe, ils me faisaient chier à avoir créer un hôtel dans le même établissement ! Ils méritaient de souffrir. Je n’avais certainement pas terminé de leur en faire baver. Je préparais mon plan depuis tellement d’années. Ce soir, j’avais repéré deux individus au comptoir du petit bar sombre de Sidebay. Il s’agissait de Jane Wellington, un flic chargé de l’enquête du meurtre de cette salope d’infirmière… puis un ancien pensionnaire de l’asile. Dès son retour en ville, je l’avais toute suite reconnu. Il était plus vieux, mais se ressemblait malgré tout. Je voulais m’éclater un peu, faire un brin de causette. Je m’incrusta ainsi entre les deux sur un tabouret et commanda une bière.

Le soir se pointa le bout du nez et Jane s’empressa de rejoindre ce petit bar aux allures conviviales qu’elle appréciait beaucoup. Il était bien rare de ne pas voir JJ sortir en boîte, c’était même très récurant de sa part. Elle y allait quotidiennement et la brunette ne pouvait s’en passer. Elle entra donc au Cheers et s’installa rapidement au comptoir. Ce n’était pas trop le genre d’endroit qu’on venait pour danser, sachant qu’un simple jukebox s’occupait de mettre l’ambiance. Elle opta tout de même pour une playlist qu’elle sélectionna avec goût avant de retourner s’assoir. « Une putain de bière, s’vous plait! » Dit-il en glissant une poignée de change sur le comptoir. Elle tourna la tête fixant le vieil homme et le quinquagénaire qui venait d’entrer.

Ray était là depuis un petit moment déjà. Il avait commencé un verre de bourbon, et avait tâché de le boire doucement. Voilà pas si longtemps qu'il avait fait irruption dans le nouvel hôtel de la ville, et qu'il avait découvert que l'asile n'y était plus. Ça aurait été un vrai plaisir, s'il n'avait pas déliré totalement presque du début à la fin. Il s'était vraiment cru dans ce centre de détention d'un genre spécial, avait revécu des horreurs, et fait une scène à un type à propos d'une chambre et comment elle était inadaptée aux pensionnaires. Lorsqu'il était redevenu lucide, il avait chassé ces pensées, mais elles finissaient toujours par remonter. C'était comme ces vieux atteints d'Alzheimer. Des fois, parfois une journée entière, ils retrouvaient toute leur raison, et réalisaient ce qui leur arrivait. C'était les jours les plus tristes de toutes leurs vies, contempler ainsi leur fin dans la folie et la fièvre. Pour Ray, c'était pareil. Alors il gardait ce verre, le faisait rouler du bout des doigts. Le barman ne l'ennuyait pas, il avait manifestement compris qu'il valait mieux ne pas parler ce soir.

Il tourna la tête lorsqu'un petit jeune de cinquante piges s'installa à côté de lui. Pendant quelques secondes, il croisa le regard d'une brunette très mignonne. Il lui adressa un sourire amical et retourna à ses moutons, pour le moment. Non, même s'il avait voulu jouer les enjôleurs par amusement, il n'aurait pas pu, dans l'immédiat. Il reporta plutôt son regard sur le type juste à côté de lui. Et là, il l'examina pendant un petit instant, et fit brièvement les yeux ronds.

« Et bien, on se connait, non ? »

Je prenais un vilain plaisir à jouer les idiots. Jusqu’à maintenant, dans cette ville personne ne m’avait réellement cerné. On me prenait pour un petit nouveau plutôt sympa qui passait ses soirées un peu partout. Ils ne s’imaginaient pas les plans machiavéliques que j’orchestrais derrière. Je décidai d’hocher la tête à la brunette, ce flic du nom de Jane Wellington. Puis, mon ancien collègue de pension suggéra qu’il me connaissait. Je fis l’idiot une fois de plus et fronça les sourcils. « Je ne sais pas trop… je viens d’arriver en ville, je n’y avais jamais mis les pieds. Vous avez déjà vécu ailleurs ? »

Ray dévisagea un instant le jeunot à ses côtés. En était-il sûr ?! Quand il avait un moment de lucidité, pourtant, il retrouvait la totale maîtrise de son excellente mémoire - prends ça, Alzheimer ! Mais il devait bien le dire : il n'aurait pu savoir exactement s'il le connaissait, ou bien s'il ressemblait à quelqu'un qu'il avait connu il y a longtemps. Ce visage, pourtant ; et cette voix.

« Je ... Oui, à beaucoup d'endroits. On ne s'est probablement jamais rencontré. Je veux dire ... vous ressemblez juste tellement à un homme que j'ai connu, voilà un certain temps. Mais mes souvenirs de cette période sont ... »

Il fit un signe de la main, à côté de sa tête, pour expliquer qu'ils étaient emmêlés. Oui, c'était le moins qu'on puisse avoir dit sur le sujet. Brumeux, nébuleux, terrifiants étaient d'autres qualificatifs tout aussi valables. Il savait très bien que si les choses ne remontaient pas forcément sur cette période, ce n'était pas à cause de son AVC, mais à cause du traumatisme.

Il avait maintenant laissé son verre de côté, fixant, sans le savoir, Leonard Bradshaw, ancien compagnon de quartier et, aujourd'hui, le mystérieux tueur de Sidebay. S'il l'avait su, il aurait été joyeux, dans un premier temps. Ensuite seulement, il aurait été terrifié. S'il l'avait su, il n'aurait pas cherché à creuser ; mais la rencontre avait aiguisé sa curiosité.

« Vous savez, c'est quand même fou. Où avez-vous vécu auparavant ? Je suis sûr de pouvoir vous remettre. »

Je voyais bien que mon visage n’était pas inconnu chez cet homme. J’avais tout de même subit quelques chirurgies pour rendre mon identification encore plus complexe, mais il fallait dire que pour un ancien colocataire de chambre, c’était normal qu’il trouve une certaine concordance avec une rencontre du passée. « C’est pas grave, on dit que j’ai une tête similaire à plusieurs ! » Je ris et bus une gorgée de ma bière, souriant à Jane qui m'observait à côté. « J’ai vécu un moment à Miami, à Los Angeles et même à New York… vous également ? » Répondis-je en amenant un questionnement.

Ray commençait à douter de connaître cet homme. Après tout, c'était vrai, il était assez commun. Les traits qui semblaient avoir parlé au vieux auparavant se révélaient finalement assez peu probants sans autre argument. Restait leur point commun.

« J'ai vécu un bon moment à Los Angeles, oui. De 1981 à 1984. »

Tout cela ne les avançait pas trop. Il chercha à tenter son coup une dernière fois, en donnant un détail.

« J'avais cette bijouterie près de Hollywood. Je crois que la plupart des locaux y ont fait un tour à l'époque. Ça ne vous dit rien ? »

Il avait une très bonne mémoire. Il aurait très bien pu le voir passer là-bas il y a longtemps, et avoir un écho aujourd'hui. Mais il avait un doute, là aussi. Cet homme avait éveillé des souvenirs marquants et, dans le fond, un peu stressants. Il n'avait pas encore remarqué à quel point il était excité en réaction à cette réponse inaudible venue des tréfonds de son esprit. Cet homme, c'était Bradshaw, c'était certain, mais il n'avait pas encore atteint cette certitude.

J’étais un peu confus face à la réponse que je devais dévoiler à mon ancien collègue de chambre. Oui, j’avais eu recours à quelques chirurgies – ce qui permettait aux gens qui m’étaient proche à Sidebay à l’époque – de ne pas me replacer en plus des traits amenés par la vieillesse. Raymond, je le connaissais bien et je devais trouver une réponse qui l’amènerait à laisser tomber les questions. « Oui oui, c’est bien ça, la boutique à Hollywood ! Je me souviens bien de vous ! » Affirme-t-il en espérant qu’il n’aille pas lancé cet information pour le piéger.

« Han ... Vous êtes sûr ? »

Ray observa le jeunot avec les sourcils froncés, comme une personne prise d'un doute affreux, nourri par quelque voix intérieure le poussant à douter. Mais ça ne dura que quelques secondes. Finalement, le vieil homme haussa les épaules.

« Bah ! Je me fais vieux, après tout. Je dois me mélanger. »

Il revint à son verre, en but quelques gorgées. Dans sa tête, une roue silencieuse trottait, comme un ingénieux mécanisme d'horlogerie, et ne perdait plus de vue la recherche mémorielle qui avait été lancée. Comme un homme ennuyé revenant à la charge, il rit et lança :

« Quand même, vous avez une bonne mémoire, vous aussi. De vieilles bijouteries italiennes comme celle-là, il y en a beaucoup ! »

Jane tourna la tête vers les deux vieils hommes qui discutaient. Elle leur aborda un sourire et prit une gorgée de sa bière. Tournant sur elle-même, la brunette jeta un coup d’œil au reste du bar accrochant du coup son verre de bière qui tomba le long du comptoir et coula sur les genoux des deux hommes. « Oh bordel de cul ! Excusez-moi merde ! » Dit-elle en se replaça face au comptoir et passant par-dessus pour attraper un chiffon qui traînait près de là.

Ray avait senti quelque chose de mouillé, avait remarqué ce qui coulait du comptoir et l'identifia à l'odeur. Oh ! de la bière. C'était loin d'être la chose la plus agréable à avoir sur les habits. Il fronça le nez pendant que l'autre se levait et jurait. Une demoiselle avait pourtant pris les devants en s'excusant. Elle avait fait tomber sa bière sur eux, et essayait maintenant de réparer le carnage, malgré les protestations du barman, qui n'appréciait guère les intrus derrière son comptoir. Le vieux Ray lui prit le torchon avec avenance et entreprit de s'en charger.

« Laissez, je m'en charge. Et venez ici, ou le gentil monsieur va nous faire une crise. »

Il laissa J.J., un peu gênée, le rejoindre du bon côté du comptoir, pendant qu'il s'essuyait tant bien que mal. Il sentirait la bière pour le reste de la soirée. Bah ! c'était pas comme s'il avait l'intention de draguer, de toute façon. Ça rajouterait au charme de son personnage.

« Vous êtes quand même une fille selon mon goût : dynamique, avec du caractère à ce que je vois. Permettez que je nous prenne deux bières, pour faire la paix. Dis donc, Leonard, tu en veux une, aussi ? »

Est-ce que c'était son esprit brisé, son âge ou un coup du sort ? Ray n'avait même pas réalisé qu'il avait prononcé le nom, le vrai, du tueur de Sidebay, un ancien malheureux condamné à l'asile avec lui. Il n'empêchait que, sorti des tréfonds de ses souvenirs torturés, il était bien revenu à la surface. Qu'est-ce qui pourrait bien sortir encore ?

Jane se sentait un peu mal à l’aise d’avoir créé cet accident anodin, mais le vieil homme semblait lui faire de l’œil, ce qu’elle trouvait amusant. Déjà, que ce soit un homme âgé, puis que ce soit un homme tout simplement au final. La lieutenante lui sourit aussitôt le dégât ramassé et opina. « Oh putain, c’est gentil, j’accepte avec plaisir ! » Jane ne pouvait jamais dire non à de l’alcool après tout. Elle reprit place aux côtés des deux hommes. « Par contre, faites attention parce que JJ elle bouffe uniquement de la chatte ! » Elle fit un clin d’œil à son tour et se mit à rire. La brune avait ce parlé particulier, mais elle ne s’en faisait jamais avec ça.

Le vieillard rit aux éclats en entendant les paroles de la demoiselle, et surtout la façon dont elle s'exprimait. Il trouvait toujours une compagnie originale plus rafraîchissante que celle de n'importe quel prince de pétaouchnok au monde. Il tendit son verre, et ils trinquèrent à la chatte tandis que, dans le dos de Ray, le vilain tueur de Sidebay, toujours ni vu ni connu, désormais sorti des pensées du vieil homme, se retrouvait totalement libre de faire ce que bon lui semblait.

« Un point que nous avons en commun, JJ ! Je suis Ray. Ravi de te connaître ! »

La conversation alla de bon train et le trio firent connaissance. C’était de bons points pour le criminel qui voyait un flic dans son entourage. Ce n’était pas une amie, loin de là, mais il avait fait les premiers pas pour la connaître. L’homme termina ainsi sa bière, remercia les deux individus pour ce moment et quitta la taverne le sourire aux lèvres.